février 2019

Je m’appelle Mintou, j’ai 18 ans, je vis dans une petite ville et je viens d’avoir mon baccalauréat.

Dans ma famille, je suis la seule à aller à l’école ; mes autres frères et sœurs ayant dû arrêter pour se consacrer aux activités champêtres avec mes parents.

Mon père a 2 femmes et 14 enfants dont je suis la 5ème et Dieu seul sait le combat que j’ai dû mener avec mon enseignante du primaire qui a tout fait pour me maintenir à l’école en discutant à chaque fois avec mes parents.

Toutefois, je dirais que la seule raison pour laquelle j’ai pu continuer mes études est que j’étais à chaque fois la première de ma classe et les visites des autorités locales pour récompenser mes efforts à travers plusieurs cadeaux à mes parents et moi a contribué  à me garder sur les bancs.

Aussi, de toutes les filles  de mon père j’étais la seule à ne pas m’être mariée. D’ailleurs, très souvent, les discussions tournaient autour de moi et mon père finissait toujours en ces mots : « si ce n’est les dons que l’état nous donne parce qu’elle va encore à l’école et qu’elle n’est pas mariée, elle serait déjà chez Kangeye ».

En effet, ce fameux Kangeye qui avait déjà 2 femmes passait très souvent chez mes parents et me harcelait à chaque fois que je sortais de l’école.

Je ne suis pas contre le fait de me marier, tout le monde se marie dans ma ville, mais je n’avais pas envie de le faire. J’avais envie de finir mes études, de travailler, je voulais devenir avocate. Je chérissais ce rêve que je savais pourtant impossible.

La vie dans ma petite ville était paisible, les liens très forts entre les habitants. On était vraiment bien entourés, mais je voulais sortir de là, surtout sortir ma mère de là. Ma maman était épuisée et maladive et cela s’aggravait chaque jour avec tous les travaux ménagers et champêtres.

Mon Baccalauréat en poche

Je me rappelle encore du jour où les résultats de mes examens furent annoncés au sein de mon école. On était 3 admis et je pouvais être fière de moi car j’étais la première.

La joie se lisait sur le visage de mon enseignante qui m’a motivé depuis toute petite. Elle me prit dans ses bras et fondit en larmes. Ensuite, elle me dit : « tu dois aller à l’Université ».

Dans mon cœur, cette phrase a rebondit car je savais que ce ne serait pas possible. Il n’y avait pas d’Université dans ma ville. Il fallait donc que je quitte la ville car l’Université la plus proche se trouvait dans une plus grande ville à environ 500 km et cette option était impossible à envisager car mon père avait été très clair : « tu as fini d’étudier ma fille, maintenant tu dois te marier car je n’ai plus les moyens de te prendre en charge. Tu dois aller chez ton mari ».

C’est clair, les cadeaux n’allaient plus pleuvoir et donc c’était la fin de mon périple scolaire.

Ces mots m’ont traumatisé pendant des jours. Je me sentais rejeter, que mon père se sente obliger de se débarrasser de moi pour ne plus avoir à me prendre en charge m’a fait beaucoup pleurer.

« Qui a dit que les filles devaient se marier » me disais-je ?

Mes ambitions Universitaires

Un matin, alors que j’étais allée faire la lessive au bord du fleuve,  mon enseignante envoya sa fille me demander de passer chez elle avant de rentrer.

Ce que je fis dès que j’eus finis ma lessive.

Une fois chez « tanti école » comme on l’appelait, elle m’annonça qu’elle a eu à envoyer mes papiers à l’Université d’à côté et que j’ai été accepté en faculté de droit comme je le voulais.

Ma réaction a été contraire à ce qu’elle attendait vu l’expression sur son visage. Je hochai la tête et m’exclama : « que c’est dommage. Tanti vous savez bien que je ne pourrais jamais aller à l’Université. J’ai entendu papa parler à El hadj Kangeye, je ne vais pas tarder à me marier ».

Elle se leva brusquement et cria : « tu iras à l’Université et cela je me battrai pour Mintou. Je ne t’ai pas porté jusqu’au bac pour te laisser te marier et devenir une femme au foyer. Tu es intelligente et je ne les laisserai personne te priver de tes ambitions »

Dans ma tête, je me disais « qu’elle est têtue cette dame », mais en même temps je gardais espoir qu’elle arrive à réussir ce qu’elle dit.

On continua à discuter et elle me parlait de sa fille qui étudiait dans l’autre ville. Elle m’expliquait qu’elle pourrait me prendre sous son aile et m’aider le temps que je prenne mes marques

  • Vous vivrez ensemble et je viendrai de temps à autre vous rendre visite. Il faut que tu fasses ce que tu aimes Mintou. Tu dois devenir avocate.

Mon mariage indésiré

Deux semaines plus tard, malgré tous ses allers et venus chez nous, « tanti école » n’avait pas réussi à convaincre mon père. Toutes leurs discussions se sont terminées en des disputes où mon père lui criait de se mêler de ce qui la regarde et de le laisser gérer sa famille.

La semaine d’après, la famille de Kangeye était chez moi avec leurs cadeaux et la dot de mon mariage. J’allais être mariée. C’était réel ! Toutes les filles de la famille et mes amies qui avaient déjà au minimum deux enfants étaient autour de moi dans la chambre. Je réalisais à peine ce qui se passait.

Je me rappelle que la fête du mariage eut lieu le lendemain même. Entres les « youyou », les « danses », les « plats » qui circulaient je ne trouvais pas ma place et je ne pus m’empêcher de verser des larmes. Je voyais mes rêves s’envoler. Ce jour-là, ma mère était venue me consoler : « Mintou, tout le monde se marie et tout le monde continue de vivre. Calme-toi ! Tu seras à côté de moi »

Mon enseignante malgré qu’elle était contre était passée au mariage, elle passa un peu de temps avec ma maman et les autres femmes dehors avant de rentrer me voir.

Traditionnellement, chaque aîné passe murmurer des conseils à l’oreille de la mariée, mais ce qu’elle me murmura me terrorisa : « Ecoute moi attentivement et ne change pas l’expression de ton visage. Ce soir quand il sera l’heure de t’amener chez ton époux et qu’on te demandera d’aller prendre ta douche avant le bain rituel, je veux que tu sortes et que tu me rejoignes chez moi. Un de mes amis de la ville est venu et il t’amènera chez ma fille ». Sur ce, elle s’en alla sans se retourner. Ces mots trottèrent dans ma tête toute la journée, mais j’avais décidé de ne pas l’écouter.

Choix difficile

La nuit tombée, j’étais allée prendre ma douche avec la ferme intention de rejoindre ma maman et les autres femmes pour le bain rituel, mais à peine m’étais-je habillée que les mots de « tanti école » me revinrent. Après quelques minutes de réflexion, j’hésitai encore, mais je me décidais enfin. Je la rejoins chez elle, toute effrayée.

  • « Mintou, je savais que tu viendrais » me lance t-elle en me tenant les mains.

Puis, sans perdre de temps, elle me tira dans la plus grande discrétion. On marcha quelques mètres de chez elle et on tombât sur une voiture.

« c’est elle, Mounkaila » dit-elle puis se retourna vers moi. Je n’avais jamais encore vu ce regard qu’elle me lança. Il fut long et profond.

Je ne me rappelle pas exactement de ce qu’elle m’a dit car j’étais ailleurs. Je n’avais jamais été à l’encontre des décisions de mes parents, je ne les avais jamais quittés. Je me souviens juste qu’elle m’a prise dans ses bras, m’a poussé dans la voiture et s’en est allée.

Mon départ vers l’inconnu

Tout au long du trajet, je me posais énormément de questions en même temps que mes larmes coulaient : « Que suis-je entrain de faire ? »

Le lendemain matin, je dormais quand nous arrivâmes devant une grande maison. Le monsieur m’avait réveillé et avait pris le soin de m’emmener à l’intérieur.

En rentrant, je me rendis compte qu’il s’agissait d’une cour commune avec plusieurs petites maisons.

On s’arrêta devant la deuxième porte et le monsieur tapa.

Une jolie fille ouvrit la porte. Je me rappelle encore de son sourire quand elle me prit dans ses bras : « Mintou tu es là. J’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. Viens entre ! »

Je ne la connaissais pas, mais elle était si heureuse de me voir. C’était Ramatou la fille de « tanti école ».

Elle me fit entrer à l’intérieur, m’offrit à manger et à boire et me proposa de prendre une douche.

A peine étais-je sortie de la douche, qu’elle se précipita pour me porter son téléphone à l’oreille.

  • C’est maman, elle voulait avoir de tes nouvelles
  • Je vais bien tanti et vous ? demandai-je

On discuta quelques minutes avant qu’elle ne raccroche

J’étais en ville. J’avais désobéis à mes parents, c’est tout ce à quoi je pensais. Je me demandais aussi la misère que ma famille fera à « tanti école ». J’en étais sûre par rapport à ma disparition. Je pensais à leur inquiétude en ne sachant pas où je suis.

Une nouvelle vie

Une nouvelle vie avait commencé pour moi. J’allais à l’université et je m’adaptais peu à peu à la vie de cette ville.

La fille de « tanti école » était vraiment très généreuse avec moi.

Je venais de prendre ma première bourse et je pensais énormément à ma mère et mes petits frères et sœurs. Je voulais leur envoyer un peu d’argent, mais je ne savais pas comment faire.

Je me suis arrangée à prendre le bus la nuit pour arriver le lendemain matin à l’heure où mon père et mes frères seraient au champ.

Je n’oublierai jamais les cris de ma mère quand elle me vît :

  • Mintou c’est toi ! Tu es de retour ? Où étais-tu ? J’étais morte d’inquiétude
  • Je vais bien maman, mais je ne suis pas revenue. J’étudie maintenant à L’Université. Tout se passe bien.

J’eus à peine le temps de saluer mes sœurs que je devais déjà repartir :

  • Mintou dis-moi où tu vis ?
  • Non maman, je ne peux pas, mais je repasserai te voir. Je vous aime

Nouveaux sentiments

Deux ans que je vis loin de ma famille et que je poursuis mon rêve de devenir avocate.

Cet après-midi là, Ramatou avait reçu de la visite. Deux camarades de classe.

Je revenais de mes cours, elle me les a donc présenté brièvement et je suis allée me coucher car j’étais exténuée.

A mon réveil, Ramatou m’expliqua que l’un de ses camarades a « flashé sur moi ». Ce sont exactement les mots qu’elle a utilisé.

  • Il dit que tu es très belle et m’a demandé ton contact
  • Et tu lui as donné ?
  • Ben oui. Il est bien. Je le connais depuis 3 ans actuellement
  • Je n’ai jamais eu de petit ami Ramatou et je préfère me consacrer à mes études
  • En tous cas il t’appelera et j’espère qu’il te plaira

Je vous épargne les détails du début de notre relation, mais je me souviens encore des semaines qu’il a passé à me courtiser avant que je ne cède.

Il s’appelait Abdoulaye et était un peu plus agé que moi. J’étais dans ma 20e année et lui venait d’avoir 23 ans.

C’était un garçon très attentionné. J’étais très loin de ma famille et son affection ainsi que toutes les marques d’attention qu’il me portait me faisait du bien. On passait beaucoup de temps ensemble et il n’hésitait  pas à me couvrir de cadeaux.

C’était ma toute première relation et je puis vous dire que j’aimais Abdoulaye de tout mon cœur.

La fête à vie

Cela fait plus d’ un an que Abdoulaye et moi on se fréquentait et j’étais vraiment heureuse.

C’était un Samedi, il devait être aux environs de 16h quand Abdoulaye m’appela pour m’inviter à une petite fête surprise qu’il organise en l’honneur de son meilleur ami.

Ramatou et moi étions à la cuisine. Je l’informai donc et lui demanda de m’y accompagner.

On était invité à 20h

On s’était fait toutes belles particulièrement moi. Je voulais qu’Abdoulaye soit fière de me présenter à ses amis et qu’il soit heureux des efforts que j’ai fourni pour lui plaire.

On s’est rendu à la fête vers les 21h et tout le monde était déjà là.

Il y avait énormément de monde que nous avions même eu du mal à voir Abdoulaye ; c’est lui qui nous a aperçu.

J’avais des papillons dans le ventre à chaque fois qu’il me lançait son regard admiratif. J’étais toute contente qu’il me trouve belle, « resplendissante » comme il me lança.

La fête était vraiment bien. On s’amusait depuis plus de 2h maintenant. Je voulais rentrer et je le fis comprendre à Ramatou et Abdoulaye, mais cette fêtarde n’avait vraiment pas épuisé son énergie.

Abdoulaye proposa alors de me ramener.

La discussion à vie

On discutait tout au long du trajet et il me confia comment il a perdu sa mère à l’âge de 12 ans suite à une maladie qu’il ne saurait expliquer. Ce n’est pas qu’on en avait jamais parlé, mais cette nuit-là il m’a donné beaucoup de détails.

Une fois chez moi, on continua la discussion au salon et il était très abattu, tout triste. Je lui pris donc dans mes bras, mais Abdoulaye eut un comportement assez étrange et me toucha les  seins.

Je m’éloignai donc et lui proposa de rejoindre ses amis qu’il avait laissé à la fête alors qu’il était l’hôte.

Je n’oublierai jamais le regard qu’il avait. Il n’avait pas l’air de m’écouter

Je ne connaissais pas ce regard et cela me terrorisa. Au fond de moi, je sentais que quelque chose allait se passer, mais je me persuadais que l’amour qu’on partageait sera plus fort.

L’amour à échec

J’ai encore cette image de ses mains m’agrippant et de ses lèvres me volant un baiser.

  • Abdoulaye que fais-tu ? Arrête ça !

Je criais de toutes mes forces, mais il ne semblait pas m’entendre. Il me poussa sur le divan et se mit sur moi.

Il me touchait, se frottait à moi, m’embrassait. Les sensations étaient désagréables. Je ne pu m’empêcher de verser des larmes. J’avais l’impression d’avoir un animal au dessus de moi.

Il s’arrêtait un moment et me regarda. Je pensais que c’était la fin du cauchemar, mais il repartit de plus belle. Il m’arracha mes vêtements…….

Je vous épargne les autres détails qui me déchirent encore aujourd’hui quand j’y repense, mais retenez qu’Abdoulaye a abusé de moi et qu’il s’en est allé en me laissant là gisant dans mon sang et n’ayant que mes  yeux pleurer alors que chaque partie de moi ressentait chacune des horreurs qu’il m’a fait subir.

Cet homme que j’aimais de toutes mes forces m’a fait du mal. Ce même homme qui promettait de me respecter toute sa vie m’a démontré la pire marque de manque de respect. Cet homme m’a violé !

Je me demande ce qui lui ai passé par la tête cette nuit-là. Je ne trouverai jamais d’explications car après cette nuit-là, Abdoulaye a disparu complètement de la circulation et ce n’est pas faute de l’avoir recherché car étudiante en droit que j’étais j’avais promis de ne pas le laisser s’en sortir. Tout l’amour que j’avais pour lui s’était transformé en la plus grande haine qu’on pouvait avoir pour quelqu’un.

A vie aux médecins

Je séjournais dans un hôpital de la place pour soigner chacune des blessures que cet incident m’avait laissé.

Ramatou et « tanti école » était à mon chevet chaque jour.

Je sais qu’elles culpabilisaient beaucoup, mais ce qui était fait était fait et personne ne pouvait le prédire, mais cette soirée là le médecin allait m’apprendre quelque chose qui allait remettre à zéro tous les efforts que j’avais fait pour me reconstruire durant ces quelques jours.

Quand il était rentré dans la chambre et qu’il m’expliqua qu’il devait m’annoncer quelque chose, je m’imaginais déjà de quoi il s’agissait.

  • Mintou vous êtes enceinte !

Dans ma tête, tout venait de s’écrouler.

J’avais quitté les miens pour cette ville dans l’espoir de faire de mes rêves une réalité. J’étais partie avec de fortes ambitions dont il ne restait plus rien.

Comment allais-je faire avec une grossesse ? Comment allais-je l’annoncer à ma mère ?

Mon avortement à vie

La nuit d’après alors que j’étais de retour à la maison, « tanti école » et sa fille me firent la proposition de me faire avorter car disait-elle un enfant à mon âge allait anéantir ma vie et je ne m’en sortirais pas.

Personnellement, je suis croyante et je voyais cela comme un meurtre car il s’agit quand même d’un petit être qui grandi en moi, mais je n’avais pas d’autre choix.

Si je gardais cette grossesse, comment allais-je supporter le regard et le jugement des autres ? Comment allais-je m’occuper de cet enfant ? Quel homme voudrait de moi ? Sans compter que mon père serait capable de me renier et que ma mère en mourrait.

J’acceptais alors leur proposition et la semaine d’après je me fis avorter.

Cela s’est passé clandestinement car l’avortement n’est pas légal dans mon pays, mais rien ne s’est passé comme prévu. Au cours de l’intervention, j’ai énormément saigné et c’est sans grande surprise que je perdis la vie sur la table d’opération.

Des rêves sans vie

C’était la fin ! La fin de tous mes combats.

Tout ce que j’avais réussi à construire jusqu’ici n’avait plus d’importance et mes parents n’auront que leurs yeux pour me pleurer.

Tous ceux qui se sont alignés à ma lutte de la quête du savoir notamment « tanti école » et « Ramatou » porteront à jamais la culpabilité de ce qui m’est arrivé, mais en réalité aucune d’entre elles n’est coupable, même le destin n’est pas coupable ; le seul coupable reste et restera toujours cet homme qui m’a pris mon innocence sans aucune pitié.

La justice d’ici-bas ne l’a pas frappé, mais la divine ne le râtera très certainement pas.

C’était mon histoire et j’espère qu’elle servira d’exemple aux autres. Un exemple à plus de prudence car aucun être humain ne mérite ce que j’ai vécu.

 

FIN

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Merci beaucoup de m’avoir lu.